L’espace public est avant tout un cadre de rencontre où les individus font l’expérience de l’altérité, un établissement scolaire est en ce sens un lieu d’apprentissage qui enseigne aux sujets qu’une altérité est une richesse qui se partage à travers la connaissance et la reconnaissance d’un savoir partagé. Pour que cette rencontre soit fructueuse, il faut que toutes les composantes s’articulent dans une continuité physique, intellectuelle et morale. Mon engagement dans l’étude de cette œuvre s’est élaboré dans le souci de rendre intelligible sur un plan formel ce qui peut se jouer entre un espace individuel et une architecture collective. Pour mettre en œuvre cette cohérence, j’ai pris pour paradigme le pliage comme acte fondateur. L’élaboration d’un projet artistique pour un espace public commence par une prise en compte d’un cadre imposé qui attend de recevoir une interprétation, les trois alvéoles (totems) considérées comme des espaces à géométrie variable m’ont encouragé à analyser méthodiquement ce que peut contenir l’espace du pliage.
Tout commence par la recomposition à l’échelle de la main de ce qui va être un lieu architectural où des individus vont échanger partager et communiquer collectivement. Les trois alvéoles pliées et successivement dépliées forment une nouvelle structure spatiale comme pour contenir un lieu secret. Dans l’espace du pli chaque face rabattue sur une autre redessine une nouvelle architecture potentielle, entre l’état premier de l’alvéole et sa transformation. Le corps est suggéré ici comme un langage destiné à structurer l’espace habitable et à l’animer d’une expression. Les alvéoles appareillées de bancs invite à s’y installer dans un repli ou un retrait physique, dans un espace public cette place peut être considérée comme un lieu transitoire. En interrogant cette disposition, j’y associe nécessairement les personnes qui viendront s’y loger. L’observation des regroupements humains et plus particulièrement d’adolescents m’ont toujours parus riches de sens par les formes de communication qui s’y élaborent. Repliés sur eux-mêmes, ils protègent un univers qui leur est propre, ces repliements loin d’être un enfermement se jouent de l’ouvert et du fermé à travers des gestes et des attitudes expressives. Dans ma proposition plastique sont indissociablement liées ces présences humaines comme les acteurs sur une scène de théâtre. A la variation formelle du cadre fait écho une variation infini des acteurs, irreprésentables du fait de leur infinitude.
Par le processus du pliage les traces laissées sur le papier dessinent une nouvelle construction, ces traces seront reproduites dans les trois alvéoles en tenant compte de la structure d’encadrement vitré. Je tenais tout particulièrement à inscrire ma démarche dans une continuité avec l’architecture pour, d’une part, ne pas arrêter les limites de l’œuvre et, d’autre part, ne pas ajouter un objet physique. Dans ces trois alvéoles on peu considérer que se joue une forme transitoire entre espace architecturale et présence humaine, pour en souligner la fonction expressive j’y inscris des mots clés qui suggèrent l’action et la trace.
« Ne pas plier », « plier ici », sont en quelque sorte des injonctions qui prédisposent les fonctions visuelles désignées par les autres mots clé comme « entrevoir », « écritoire », « faire voir ». Le traitement monochrome des alvéoles fait directement référence à la peinture abstraite considérée généralement comme l’ultime forme constructive de la représentation spatiale. De l’espace représenté, on passe ici à un espace littéral, ainsi l’espace pictural devient habitable comme si ont pouvait se loger dans le pli de la peinture. Cette loggia de la peinture expose sa propre théâtralité, pour le signifier j’ai introduit une forme de rideau. Cette espace théâtral signifié par le rideau [rideau virtuel] conçu à partir d’un logiciel graphique qui simule plus qu’il ne représente une limite entre l’intérieur et l’extérieur. Disposé dans la partie vitrée entre deux plaques de verre, il joue de la transparence vue de l’intérieur et de l’opacité vue de l’extérieur. Du jeu de pliage à l’échelle de la main à l’espace théâtralisé de la peinture, les usagés sont conviés à se loger dans une imagination où chacun pourrait devenir l’acteur d’une pièce de théâtre qui se joue quotidiennement.
Jean-pierre UHLEN